La justice fiscale plutôt qu’un appel aux dons !

Texte publié le 10 avril 2020.

Tribune publiée le 10 avril 2020 dans MEDIAPART

Après un appel aux dons lancé par Gérard Darmanin pour soutenir les entreprises, forme de financement instable reposant sur le bon vouloir et la charité de quelques-un·e·s, un collectif de responsables de syndicats et ONG rappelle que la redistribution des richesses doit passer par la fiscalité. Les multinationales doivent payer leur « juste part d’impôt » et la justice fiscale « est l’un des enjeux majeurs de la réponse à la crise et au monde de demain. »

Le Ministre de l’Action et des Comptes Publics a lancé un appel aux dons pour soutenir les entreprises en difficulté dans un contexte de crise qui s’annonce profonde et durable. Cet appel est étonnant et révélateur. Étonnant car il privilégie une forme de financement par nature instable et temporaire, qui plonge ses racines dans la charité et repose sur le bon vouloir de quelques-un·e·s. Révélateur en ce qu’il montre le manque de volonté politique de faire payer à chacun sa juste part d’impôt.

Il existe cependant un moyen efficace de financer durablement les solidarités et de permettre à l’Etat de redistribuer les richesses : la fiscalité. De ce point de vue, il est certain que les réformes fiscales du gouvernement auront largement contribué à affaiblir les politiques publiques et à nourrir le sentiment d’injustice fiscale. Rappelons pour mémoire que la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique et la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière auront créé, toutes choses étant égales par ailleurs, un manque à gagner annuel global d’au moins 7 à 10 milliards d’euros par an selon les différentes estimations disponibles. Autant de milliards d’euros qui auraient été fort utiles pour renforcer notre système de santé par exemple. Rappelons également que 40% des profits des multinationales seraient localisés dans les paradis fiscaux d’après l’économiste Gabriel Zucman et que les multinationales qui pratiquent l’évasion fiscale privent sciemment les Etats au Nord comme au Sud de ressources indispensables. Exiger des multinationales qu’elles payent leur part d’impôt serait bien plus efficace pour les finances publiques que de solliciter leur charité.

Emmanuel Macron a annoncé « des mesures de rupture » pour l’avenir. L’appel aux dons n’en constitue pas une. Une véritable « rupture » consisterait à engager une réforme de fond pour garantir une réelle progressivité de notre système fiscal, qui pèse lourdement sur l’immense majorité des ménages et des PME, et particulièrement sur les femmes. Cela requiert d’ajouter des tranches à l’impôt sur le revenu et de rétablir la progressivité de l’imposition des revenus du capital. Ce qui améliorerait le financement des services publics, notamment la santé et la recherche dont la crise actuelle montre le tragique délabrement. Cette crise illustre la nécessité de redonner des moyens aux Etats, mais elle exige aussi de mobiliser de nouveaux revenus pour les finances publiques. Dans l’urgence, il faut rétablir un impôt sur les grandes fortunes, augmenter la contribution fiscale des entreprises qui font des bénéfices exceptionnels dans cette période de crise, exiger la transparence fiscale pour les grandes entreprises, a fortiori celles qui reçoivent le soutien de l’Etat. La lutte contre l’évasion fiscale est plus que jamais un impératif pour les pays du Nord comme du Sud. Elle exige d’aller plus loin que les propositions de réformes a minima initiées par les pays riches, pour construire un système international juste sur la base d’une taxation unitaire des multinationales accompagnée d’un impôt minimum effectif réellement ambitieux, afin que les multinationales paient une juste part d’impôt là où elles ont leurs activités. Elle doit faire l’objet d’un sommet dédié à l’ONU, afin de réunir tous les Etats autour de cet enjeu urgent. La justice fiscale reste l’un des enjeux majeurs de la réponse à la crise et au monde de demain.

Signataires :

Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente du CCFD-Terre Solidaire
Sandra Cossart, directrice de Sherpa
Chantal Cutajar, présidente de l’OCTFI
Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la Magistrature
Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France
François-Xavier Ferruci, secrétaire général de Solidaires Finances Publiques
Jean-Louis Marolleau, secrétaire du Réseau Foi & Justice Afrique Europe
Boris Plazzi, secrétaire confédéral de la CGT
Raphaël Pradeau, porte parole d’Attac France
Elise Van Beneden, présidente d’Anticor

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